La fête de Nowrouz et « haft sin »

Nowrouz[1], qui signifie « nouveau jour », est la fête du Nouvel An qui débute chaque année avec l’équinoxe du printemps (21 mars ou 20 mars dans une année bissextile). Elle est célébrée dans l’ensemble des pays qui se trouvent sur le plateau iranien[2]. Cette célébration, d’après le calendrier solaire iranien (jalâli), débute avec le moment de changement de l’année (lahzé-ye tahvil-e sâl) qui varie d’une année à l’autre. Cette année 2022, ce moment aura lieu le dimanche 20 mars à 16h 33min. et 26 sec. (heure française) / 19h 3min. et 26 sec. (heure iranienne).

Il est difficile, voire impossible, de dire à quand remonte l’origine de Nowrouz, qui contient un ensemble de traditions païennes. Mais, bien avant les Iraniens, les Babyloniens célébraient, au deuxième millénaire avant notre ère, le jour de l’an, généralement à l’équinoxe du printemps, lorsque la nature se réveille après le sommeil de l’hiver. Cette fête, dont l’idéogramme est Zagmuk, mentionné dans les inscriptions néo-babyloniennes, couvrait les onze premiers jours du mois Nisan, premier mois de l’an commençant vers le milieu de mars. Le Zagmuk était célébré en l’honneur de Marduk, dieu suprême des Babyloniens. Ainsi, chaque année au Nouvel An (Zagmuk), les dieux de Babylone venaient rendre hommage à Marduk et le saluaient avec crainte, se tenant agenouillés devant lui car ce jour-là la destinée de l’année à venir et surtout les événements de la vie du roi devaient être fixés. Aussi le roi de Babylone devait-il renouveler tous les ans, pendant la fête de Zagmuk, son pacte avec les dieux en saisissant la main de la statue de Marduk. On allumait des feux à cette occasion.

De nos jours, on trouve en quelque sorte la trace de la fête de Zagmuk chez les yézidis, pratiquants d’une curieuse croyance en Asie de l’Ouest que les musulmans traitent d’« adorateurs du diable ». Selon eux, le jour de l’an, appelé « sar-e sâl », Dieu siège sur un trône et rassemble autour de lui les prophètes et les proches afin de leur annoncer sa bénédiction pour la terre durant l’année à venir. Ce jour-là, les yézidis distribuent de la viande aux pauvres pour les âmes et leurs morts, et les femmes portent de la nourriture aux tombeaux. Chez les Iraniens, de nos jours, on pratique cette visite au cimetière la veille du Nouvel An et si une personne est décédée dans l’année qui vient de se terminer, ses proches lui rendent visitent le premier jour de l’an et même parfois on apporte les « haft sin » pour mettre sur sa tombe.

Quant à l’idée babylonienne et yézidie de rassemblée des dieux, on pourrait peut-être la comparer avec l’assemblée des dieux sous la présidence d’Ahura Mazda (Seigneur sage) dont il est question dans le deuxième chapitre du Vendidad, une des cinq parties de l’Avesta, livre sacré des zoroastriens. Une assemblée à laquelle participa aussi Djamshid, roi mythique iranien, qui serait à l’origine de la célébration de Nowrouz à l’équinoxe du printemps.

Il existe encore d’autre ressemblances entre les pratiques de la célébration de Nowrouz et celles effectuées par les Babyloniens. Il s’agit de la fête des Sacaea qui était célébrée pendant cinq jours à partir du 25 mars à Babylone. Durant ces cinq jours, un condamné à mort était habillé en roi et autorisé à se conduire en conséquence, jusqu’au point d’user des concubines royales ; à la fin de la fête, il était dépouillé de ses beaux vêtements, flagellé et pendu ou crucifié.

En Perse, sans connaître la date exacte, nous savons qu’au commencement du printemps, pendant cinq jours, on faisait monter sur un âne un homme imberbe et on le promenait en triomphe à travers la ville. Il maniait un éventail et se plaignait de la chaleur ; le peuple lui jetait de la neige ou de l’eau froide. Au cours de sa promenade, il s’arrêtait aux portes des riches et leur imposait des contributions ; en un mot, ce pitre jouait, jusqu’à la fin de la journée, le rôle d’un jeune Roi-Soleil. Car au coucher du soleil, s’il ne trouvait pas moyen de se cacher, il recevait la bastonnade. Autrement dit, le châtiment des injustices qu’il avait fait subir.

De nos jours en Iran, à quelques jours de Nowrouz, des individus vêtus en rouge, dont le visage est noirci au charbon, dansent dans la rue et à travers la chansonnette suivante annoncent l’arrivée du printemps et reçoivent de l’argent de la part des gens : hâji Firouzam sâli ye rouzam (je suis hajj Firouz et je ne vie qu’un jour par an).

Les détails substantiels sur la célébration de Nowrouz en Perse apparaissent sous les Sassanides (224-651). À cette époque, Nowrouz était célébré comme le jour le plus important de l’année. La plupart des traditions royales de Nowrouz, comme les audiences royales en public, les cadeaux, la distribution des sucreries et le pardon des prisonniers, ont été établies au temps des Sassanides et elles sont restées telles quelles aux siècles suivants en dépit de l’islamisation de l’Iran à partir du VIIe siècle. Les Iraniens ont su préserver l’art et l’architecture sassanides en les mettant au service de l’islam et des califats. De même, ils ont su protéger leurs coutumes et leurs traditions tout en y introduisant des éléments islamiques. Citons à titre d’exemple les « haft  sin », une tradition indissociable de Nowrouz qui traverse non seulement les siècles mais aussi les frontières et les religions. Dans la Perse antique, les Iraniens croyaient que les âmes de leurs morts (Fravashi) leur rendraient visite pour le Nouvel An. Pour les accueillir convenablement, ils fessaient le nettoyage du printemps et déposaient sur une nappe sept éléments végétaux dont les noms en persan commencent par la lettre « sin » (S) d’où le terme « haft sin » : Sib (pomme), Samanou (pouding à base du blé), Sabzé (des germes de blé, d’orge ou de lentille), Sir (ail), Serké (vinaigre), Somâq (Sumac) et Senjed (olive de bohème). Cette tradition ancestrale est toujours pratiquée en Iran non seulement par les zoroastriens mais aussi par les musulmans, les chrétiens, les juifs, etc. Chacune de ces communautés dépose son livre sacré à côté de la nappe de « haft sin » qui contient aussi d’autres éléments ajoutés au fil du temps, comme l’œuf, la jacinthe, le miroir, des bougies, des pièces de monnaie, l’horloge et le poisson rouge, élément animalier ajouté à partir du XIIIe siècle après l’invasion des Mongols chez qui le poisson est le symbole du bonheur. En dépit des éléments ajoutés, le nom de cette nappe reste « haft sin » car le 7 est un nombre sacré dans la culture iranienne.

 

[1]

Nauryz, Navruz, Nawrouz, Nevruz, Nooruz, Novruz, Nowrouz, Nowruz – cette célébration de l’arrivée du printemps est aussi riche en appellations qu’en traditions. Voir : fr.unesco.org/commemorations/nowruzday

[2] En 2009, Nowrouz a été inscrit comme un élément du patrimoine culturel immatériel protégé en vertu de la Convention de l’UNESCO. Cette inscription s’est élargie à de nouveaux pays en 2016, à l’initiative conjointe de l’Afghanistan, de l’Azerbaïdjan, de l’Inde, de la République islamique d’Iran, de l’Iraq, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Pakistan, du Tadjikistan, de la Turquie, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan. En 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies a institué la « Journée internationale du Nowrouz » chaque année le 21 mars.

 

 

Nader NASIRI-MOGHADDAM

Professeur des universités
Directeur du département d’études persanes
nasiri[at]unistra.fr