Autour du premier tour autour du monde de Juan Sebastián Elcano

Jean-Noël Sanchez, Département d’Études Ibériques

 

   Il y a 500 ans, La Victoria, commandée par Juan Sebastián Elcano, quittait les eaux insulindiennes qui baignent l’île de Timor, pour entreprendre le très long voyage qui devait la ramener à Sanlucar de Barrameda le 6 septembre 1522, d’où elle était partie trois ans plus tôt, le 20 septembre 1519, avec les quatre autres navires de la flotte de Ferdinand de Magellan.   

   En réalité, c’est peut-être en 1492 qu’avait commencé ce voyage, lorsque, en cherchant une route occidentale vers l’Asie des précieuses épices, Christophe Colomb avait découvert l’Amérique pour le compte de l’Espagne. Quelques années plus tôt, le Génois avait proposé son projet de voyage vers l’Ouest à Jean III du Portugal, qui l’avait refusé. Diogo Cão n’avait-il pas atteint l’embouchure du fleuve Congo en 1482 ? Bartolomé Dias n’allait-il pas passer le Cap de Bonne Espérance en 1487 ? Les longs efforts réalisés par les marins lusitains semblaient voués à être couronnés de succès, de sorte que l’hypothétique ouverture d’une route occidentale lui était logiquement apparue comme un projet farfelu. Et pourtant, en 1492, donc, l’Espagne avait repris l’initiative et allait s’empresser de faire ratifier un nouveau partage du monde avec son voisin péninsulaire en 1494, le traité de Tordesillas.

   Les Portugais, en la personne de Vasco de Gama atteignirent finalement l’Asie du Sud par l’Est en jetant l’ancre à Calicut en 1498. Rapidement, ils purent détourner à leur profit une part conséquente des épices acheminées vers l’Ouest, au grand dam de Venise mais aussi de l’Espagne pour laquelle, au début du XVIe siècle, les Indes Occidentales, à savoir peu ou prou la seule Saint Domingue, s’avéraient davantage source de soucis que de profits. En somme, l’Amérique était encore essentiellement un obstacle sur la route de l’Asie. C’est ainsi en cherchant une voie d’accès vers la mer de l’Ouest que l’Amérique centrale fut traversée et l’Océan Pacifique découvert en 1513 par Vasco Nuñez de Balboa. Les premières expéditions qui permirent de découvrir la région de l’actuelle Argentine avaient elles aussi le même objectif (tout comme celle de Giovanni Caboto qui, au service d’Henri VII d’Angleterre, atteint la côte du Canada en 1497)

   Pendant ce temps, les Portugais avançaient vers l’Extrême-Orient. En 1510, Goa était conquise. Un an plus tard, c’est la fière Malacca qui tombait aux mains de l’intrépide Afonso de Albuquerque. De là, les mythiques îles Moluques, où pousse le clou de girofle, furent atteintes et les premiers contacts furent établis avec l’Empire du Milieu.

   C’est un des protagonistes de ces exploits lusitains qui, s’estimant méprisé par Manuel Ier le Fortuné, décida de proposer ses services au tout frais Charles Ier d’Espagne. En 1519, l’année où Hernán Cortés, en se lançant à la conquête du Mexique, allait enfin donner consistance et valeur au Nouveau-Monde, l’année aussi où le roi d’Espagne, en accédant à la dignité impériale, allait projeter la politique péninsulaire dans un destin aux dimensions de l’Europe, le renégat Ferdinand de Magellan levait les voiles vers ces mystérieuses Moluques.

   En mars 1521, après un périple qui l’avait amené dans les eaux glacées du détroit qui porte depuis son nom, Magellan atteignit les îles Mariannes, puis les Philippines où il trouva la mort. C’est donc à Elcano que revint la tâche de mener les sujets de l’empereur Charles Quint jusqu’aux Moluques puis, à défaut de trouver un chemin de retour par l’Est, de les ramener jusqu’en Espagne en empruntant une route traversant les océans Indien et Atlantique supposément réservée aux naves du roi du Portugal.

   Des 242 hommes de l’expédition, seuls 35 parvinrent à transporter l’Europe autour du monde. D’Europe en effet il s’agit, puisque le capitaine était portugais, une grande partie des hommes andalous, Elcano, comme son nom ne l’indique pas, basque, tandis que plusieurs marins grecs, dont celui qui rédigea le précieux routier de l’expédition, furent de l’aventure et que l’italien Antonio Pigafetta fit de ses notes de voyage un récit rapidement traduit dans plusieurs langues.  

   Et pourtant, est-ce bien un Européen qui dans la seconde moitié de l’année1522 réalisa le premier le tour de la planète ? Lorsqu’il était encore soldat au service du Portugal, Magellan avait fait à Malacca l’acquisition d’un esclave que les Occidentaux, toujours prompts à rebaptiser l’autre pour qu’il devienne un peu soi, prénommèrent Enrique. Celui-ci n’eut donc pas d’autre choix que de participer à l’expédition et, suite à la mort de son maître aux Philippines, abandonna le camp occidental pour se joindre aux autochtones. Était-il originaire des lieux comme l’historiographie philippine s’est longtemps plu à le croire ? C’est peu probable. Mais quand bien même il eût été Malais, il y a fort à croire qu’il parvint à regagner son point de départ plus rapidement que ses compagnons de voyages européens, laissant à ceux-ci le soin d’écrire une page de l’« Histoire Universelle » dans laquelle il avait été embarqué malgré lui.

 

Recommandations de lectures :

Romain Bertrand, Qui a fait le tour de quoi ? L'affaire Magellan, Paris, Verdier, 2020.

Xavier De Castro (éd.), Le voyage de Magellan (1519-1522), La relation d'Antonio Pigafetta & autres témoignages, Paris, Chandeigne, 2007.

Stefan Zweig, Magellan. Der Mann und seine Tat, Vienne, Reichner, 1938.

 

Recommandations de cours :

LG30AM21, Histoire de l’Amérique Hispanique

LG32BM50, Histoire de l’Expansion Portugaise