En avril dernier, en plein confinement, une restitution de l'atelier "English in Performance", présenté par Marie Seux dans le cadre du programme Artlingo, a pu se faire à huis clos. En voici la captation :
Film (Atelier "English in Performance")
Entretien entre Marie Seux, comédienne, et Lara Delage-Toriel, co-directrice d’Artlingo, septembre 2021.
LDT : Pourquoi avoir choisi de travailler en 2020-2021 sur la pièce de David Campton, « Us and them » ?
MS : Je cherchais une pièce dans laquelle tous les étudiants pourraient être partie prenante. J’aimais l’idée de créer le sentiment de compagnie. Les étudiants ont tout de suite adhéré et ont joué le jeu.
La pièce traite du conflit entre deux camps, elle pourrait s’apparenter à une fable, ce qui lui confère un caractère intemporel. Chaque spectateur peut y projeter son image de conflit, que ce soit une guerre ouverte ou une guerre larvée…
Lorsque nous avons choisi la pièce, je n’avais pas fait de lien avec ce que nous traversons actuellement mais des parallèles sont possibles.
LDT : Effectivement cette pièce date de 1972 mais l'image du mur, et plus généralement les enjeux que représentent la frontière, la délimitation de l'espace de vie, voire même les interactions entre kinésphères individuelles, résonnent fortement avec l'Amérique de Trump, le Brexit, la crise sanitaire de la Covid et tant d'autres exemples actuels. Tu parles de vouloir "créer le sentiment de compagnie". Comment cela se traduit-il en termes d'approche pédagogique? Comment parviens-tu à créer du collectif à partir d'un groupe d'individus qui ne se connaissent pas et n'ont pas forcément choisi de travailler ensemble?
MS : Créer un sentiment d’ensemble se fait progressivement. Je commence par des exercices qui incluent tous les étudiants, des exercices de présentations, des jeux. Le jeu, l’humour permettent de lever les inhibitions. Il m’importe de créer une atmosphère de confiance où les étudiants ont la possibilité de prendre le risque de se tromper, d’essayer, d’expérimenter. Lorsque deux étudiants travaillent une scène, ils ne vont pas forcément trouver le rythme ou le ton juste immédiatement; j'encourage les autres étudiants à leur suggérer des pistes, des tentatives. Dans ces expériences collectives, le processus d’apprentissage passe avant le résultat.
LDT : Sur ce projet particulier, quel degré d'initiative as-tu laissé aux étudiants au niveau de la création proprement dite (direction d'acteur, scénographie, costumes...) ? Quelle place as-tu laissé par exemple aux errements ou égarements – ce "risque" dont tu parles ?
MS : Après la lecture de la pièce, j’ai demandé aux étudiants de choisir la scène qui leur parlait le plus. Ensuite, je leur ai demandé de dessiner cette scène sur une feuille A4: comment imaginaient-ils le décor, la place des acteurs ? Je leur ai demandé de visualiser le texte dans l’espace.
Ensuite, je leur ai dit : vous avez toute la liberté d’essayer, prenez vos camarades, placez-les dans l’espace, faites-leur dire le texte. Est-ce que ça vous plaît? C’est ainsi qu’ils se sont mis d’accord pour se servir des tables et des chaises, qu’ils ont inventé ensemble la hauteur du mur…. L’idée étant qu’ils ne se reposent pas sur moi pour trouver des solutions mais qu’ils trouvent les leurs !!! Et tout ça en anglais, s’il-vous-plaît !!!!
LDT : Comment intègres-tu des apports plus académiques (théories du texte dramaturgique, étude du contexte culturel et de l'œuvre du dramaturge, connaissance de la langue) dans cet enseignement dont une large part est consacrée à la pratique expérimentale, à l'action créatrice ?
MS : Mon cours est certainement moins académique que d’autres, effectivement je mets l’accent sur l’expérience. Je ne fais pas de cours de théorie dramaturgique à proprement parler mais nous nous interrogeons sur la structure dramatique du texte étudié. Je consacre une séance entière à la lecture de la pièce dans son intégralité et à son analyse. A cette occasion, nous relevons les difficultés de vocabulaire ou de grammaire. Dans deux des textes choisis ces dernières années, nous devions négocier la présence d’un narrateur. La question du choix s'est posée: un narrateur ou des narrateurs?
Dans notre atelier, nous avons choisi de répartir la parole du narrateur afin que chacun des acteurs puisse expérimenter cette place particulière. Si nous avions monté la pièce, le choix aurait peut-être été différent.
Par ailleurs, l’année dernière, j’ai inauguré l’enregistrement au micro pour que les étudiants puissent s’entendre, puissent travailler leur articulation et leur accent.
LDT : Cela fait maintenant 5 ans que tu interviens dans le cadre d'Artlingo. Peux-tu évoquer un ou deux moments particulièrement marquants dans cette aventure, et enfin, ces points encore aveugles que tu aimerais explorer cette année?
MS : Dans mon parcours Artlingo, l'un des moments marquants fut l’année où j'ai eu un groupe d’étudiants aux fortes personnalités et aux niveaux linguistiques très hétérogènes. Je me demandais comment j’allais réussir à créer ce sentiment d’ensemble, de compagnie. J’avais imaginé travailler sur une comédie, mais finalement les étudiants ont accroché sur une pièce plus noire mais plus proche de leurs préoccupations. Et au fil des séances, une très belle solidarité s’est établie entre eux. D’un groupe d’individualités un peu circonspectes les unes vis-à-vis des autres, nous sommes passés à une équipe ravie de travailler ensemble.
Cette année, j’aimerais pouvoir inciter les étudiants à prendre la place du metteur en scène plus souvent. Qu’ils puissent s’emparer du texte, imaginer une scénographie (même sommaire) et donner des directions de jeu à leurs camarades-acteurs. C’est aussi un moyen de leur faire prendre confiance dans leur capacité à être créatif.
Artlingo
Créé à l’Université de Strasbourg en 2016, sous l’égide des Investissements d’Avenir (IdEx), à l’initiative de Lara Delage-Toriel et Carole Egger, auxquelles s'est ralliée Ana-Maria Girleanu, et soutenu depuis 2018 par la Faculté des Langues, ARTLINGO est un projet interdisciplinaire innovant destiné à redynamiser le désir d’apprendre en encourageant l’initiative et la créativité des étudiants et des enseignants.