Le succès du sonnet, récipiendaire d’une longue tradition littéraire, ne se dément pas : éminent représentant de la poésie, aussi sophistiqué qu’expressif, il reste abondamment pratiqué, y compris dans une perspective qui se veut innovante et expérimentale. Cet état de fait est à la fois le témoignage et la conséquence d’une histoire de la forme qui connaît des déclinaisons diverses, bien qu’entrecroisées, dans différents idiomes. Cette conférence évoquera le sonnet de langue anglaise de la Renaissance, son histoire, et son historiographie à partir d’un cadre théorique inspiré du « nouveau formalisme » de Caroline Levine ainsi que de données peu prises en compte jusqu’ici.
Au-delà de l’histoire littéraire du XVIe siècle, c’est à l’émergence, y compris politique, des catégories historiographiques que l’on s’intéressera. Défaire le lit de Procuste (comme le sonnet a été appelé de manière récurrente au cours de son histoire), ce n’est pas manifester une hostilité à une forme à contraintes, mais bien plutôt se donner les moyens de comprendre les enjeux de sa définition comme de sa redéfinition. Celles-ci ont à voir avec une forme de sentiment national émergent (le récit de l’ « anglicisation du sonnet » au XVIe siècle), mais aussi avec une certaine manière de penser les rapports interculturels, voire internationaux (par exemple chez Sidney Lee au début du XXe siècle) ; elles s’inscrivent dans une perception genrée des cultures nationales et des formes littéraires (le sonnet de sensibilité au XVIIIe siècle et sa « remasculinisation » par Wordsworth) ; elles ont enfin partie liée à l’établissement du canon et à l’affirmation du règne fort tardif mais sans partage de Shakespeare sur le royaume du sonnet de la Renaissance anglaise.